Musique
Dans le domaine musical, comme dans tous les autres, les Arméniens ont réussi à créer un art spécifique en utilisant avec toute leur sensibilité et leurs particularismes les influences de tous leurs voisins.
La musique arménienne ne constitue pas un îlot isolé, mais représente bien une des facettes significatives de la musique de toute une aire géographique.
LA NOTATION
LA LITURGIE
LES ACHOUGH
L’ORCHESTRE TRADITIONNEL
LES INSTRUMENTS ARMENIENS
LES FIGURES
LA NOTATION
Depuis le VIIIème siècle, les Arméniens recueillent leurs mélodies grâce à la notation neumatique. Ce système, dont l’usage s’est particulièrement développé du XIII au XVème siècle sans qu’il ne reste aucune trace de la codification utilisée, ce qui rend muets des milliers de chants notés dans les manuscrits anciens.
Le Révérend Père Komitas aurait percé le secret de cette notation, mais ses manuscrits ont disparu. Une nouvelle notation neumatique a été mise au point au XIXème siècle par Hambartsoum Limondjian et il existe de volumineux recueils de chants liturgiques et profanes retranscrits.
LA LITURGIE
Dès l’apparition du christianisme en Arménie (IVème siècle), la liturgie est présente. Le catholicos Saint Sahak (Vème siècle) structure les mélodies liturgiques qui jusqu’alors n’étaient chantées que sous forme de psaumes. La liturgie arménienne se singularise par la présence de deux éléments constitutifs : l’un, habituel, s’appliquant au rituel de la messe, l’autre, inhabituel, introduisant des compositions personnelles d’auteurs laïcs ou ecclésiastiques pour la plupart anonymes. On désigne les poèmes cantiques par le nom de charakan. Les charakan ont été composés à partir du Vème siècle et leur recueil s’intitule charaknots. D’après leur sujet, les charakan sont assemblés dans un ordre qu’on appelle canon : canon de la Nativité, canon de la Transfiguration, canon de la Sainte Vierge… Ils se répartissent sur des jours et des heures fixes. Les charakan ont une importance inestimable du point de vue musical car leurs compositeurs se sont inspirés au début aux sources vives de la musique mère cultivée par le peuple, les mages, les bardes de l’époque païenne et, par la suite, de la musique populaire. La polyphonie apparait plus récemment sous l’impulsion de musiciens tels que Kara Murza, Makar Ekmalian ou Komitas.
LES ACHOUGH
Ces « troubadours » arméniens dont l’art s’est développé à partir du XVIème siècle sont les successeurs des goussan connus depuis l’antiquité. L’achough est spécifiquement oriental et ne possède pas d’équivalent européen, ni de terme qui puisse le définir proprement. Il est intouchable, il peut franchir toutes les frontières : politiques, raciales, religieuses, linguistiques, sociales. La fonction, comme le nom, sont d’origine perse et arabe et signifient : « amour », « amoureux ». L’achough est un poète, un compositeur, un musicien, un chanteur, un récitant ; il ne possède que les dons qu’il a reçus, sa renommée, son instrument de musique (le plus souvent un saz ou un kamantcha) et son baluchon d’éternel voyageur. Il est le témoin de son temps et il témoigne. Les achough arméniens, tels Sayat Nova, Chirine, Djivani, Havassi ont joui d’une grande renommée dans tous les pays environnants.
L’art des achough diffère de l’art poétique populaire : il adopte et il applique les formes et les règles de la versification arabe ; tout en étant d’inspiration personnelle, l’œuvre reflète les mœurs, l’ambiance, la situation des différentes classes sociales de l’époque ; tout en étant d’expression épico-lyrique et passionnée, l’œuvre contient une part didactique et conclut sur une philosophie ou une morale ; les sujets n’exaltent pas seulement des sentiments humains sensuels, spirituels ou érotiques, mais aussi des problèmes sociaux, éthiques, politiques auxquels ils proposent des solutions de dignité et de fraternité. Le caractère national cède aux formes étrangères et ne s’exprime que dans le fond.
L’ORCHESTRE TRADITIONNEL
La constitution de grands orchestres d’instruments traditionnels est apparue au cours du XXème siècle. Jusqu’au XIXème siècle, les musiciens jouaient le plus souvent seuls, accompagnant leur chant. Vers la fin du XIXème siècle apparaissent peu à peu de petites formations de trois ou quatre musiciens, le plus souvent dehol , târ, kamantcha, doudouk . Dans la période soviétique, l’écriture musicale pour orchestre se développe et l’on voit apparaitre par analogie avec l’orchestre classique, de grandes formations composées d’instruments traditionnels.
LES INSTRUMENTS ARMENIENS
Ils sont pour la plupart communs à tous les peuples de la région. L’originalité réside dans la facture qui est parfois notablement différenciée. Ainsi, le kamantcha, le târ ou le kanone, lorsqu’ils sont issus de luthiers arméniens, ont des timbres qui s’accordent parfaitement aux intonations et au style du chant arménien. L’utilisation de ces instruments dans de grandes formations a conduit également les luthiers à chercher des couleurs sonores homogènes.
LES FIGURES
SAYAT NOVA (1717-1795), achough (troubadour) célèbre dans tout le Caucase ; sa biographie reste imprécise. Son père, Garabed, était originaire d’Alep et sa mère, Sarah, de Tiflis ; Haroutioun serait né à Sanahin. En 1723, la famille s’installe à Tiflis. Haroutioun est apprenti tisserand ; très tôt il joue du saz, du târ et du kamantcha. Il voyage en Perse, en Afghanistan et en Inde et se fait appeler Sayat Nova qui en arabe signifie « chasseur de sons ». Il rencontre le prince héritier de Géorgie Héracle et rentre comme Sazandar (chanteur, amuseur, conteur, troubadour). Il compose en géorgien ses premières chansons, puis en azéri. Ce n’est qu’à quarante ans qu’il compose son premier poème en arménien. A la cour, Sayat Nova tombe amoureux de la princesse Anna : il est alors chassé et le roi lui impose de rentrer dans les ordres. Il devient Der Stepanos au monastère de Haghpat. Il n’écrit plus mais son souvenir reste vivace dans tout le Caucase. Sayat Nova meurt en 1795 lors d’une attaque du monastère par les Perses. Sayat Nova a créé son propre langage en mêlant de nombreuses langues, utilisant des mots tatars, géorgiens, persans… Il a privilégié la sensibilité musicale populaire, s’inspirant notamment des chants arabes et persans. L’œuvre et l’influence de Sayat Nova sont immenses. On recense aujourd’hui 118 chants en Azéri, 36 en géorgien et 66 en arménien.
LIMONDJIAN Hambartsoum (1768-1839) qui fut surnommé "Baba" Hambartsoum naquit et grandit à Constantinople. Ses parents, originaires de Khapert, ne disposant pas des moyens nécessaires pour les études de leurs fils le mirent en apprentissage chez un tailleur. Mais ses dons musicaux se révèleront très tôt. Au fil du temps, grâce à des études partiellement autodidactes, il finit par maitriser parfaitement la musique religieuse arménienne et étudia les musiques arabe, turque et byzantine. Il se familiarisa également avec la musique occidentale, fit des études théoriques approfondies, puis se consacra tout particulièrement aux questions de notation. Ayant exercé de longues années comme chantre dans les églises, Limondjian ressentait la nécessité de transcrire la musique religieuse arménienne. Le système Limondjian comporte sept signes fondamentaux qui indiquent la hauteur des sons. Pour indiquer le registre de cette gamme fondamentale, le système Limondjian utilise soit un tiret (pour les sons de la petite octave) soit un point (pour les sons de la deuxième octave) ; ce système ayant été conçu pour transcrire une musique monodique essentiellement vocale, le registre est limité aux possibilités de la voix humaine. Les signes de durée ont leur propre terminologie et leur propre graphisme et ils se placent au-dessus des signes relatifs aux sons. Pour les modulations chromatiques, il n’existe qu’un seul signe d’altération (..) qui peut prendre une valeur variable selon la structure modale.
CHIRINE (Garabedian Hovannes Garabedi). Né en 1827 à Goghp dans le district de Sourmalou près d’Erevan, mort en 1857 à Vigharchapat. Il perd la vue à l’âge de deux ans. Il étudie auprès d’Achough Pave à Alexandropol, apprend à jouer du Kaman. Il se perfectionne auprès d’Achough Yesbi et obtient le titre de « varbed » (maître). On le remarque pour sa voix exceptionnelle. Son premier recueil est publié en 1856. Sa création touche aussi bien les chants d’amour que les thèmes philisophiques ou nationaux. Ses créations deviendront une source d’inspiration pour d’autres achoughs tel Nirani, Djivani, Seyatu qui lui dédient des chants. En cela, il est le vrai trait d’union, au cœur du XIXème siècle, entre la tradition classique d’un Sayat Nova et les modernes que sont Djivani ou Achod.
DJIVANI ( Serop Levonian). Né en 1846 en Akhalkalak, mort à Tiflis en 1909. Très jeune, il est berger et improvise sans cesse des chants ruraux, il est remarqué par un achough qui le forme et lui donne son nom (« djivan » signifie « jeune » en persan). Il devient rapidement célèbre et s’installe à Tiflis, alors le grand centre musical du Caucase. Il a été le fondateur de l’importante école de troubadours de Gumri. Djivani a composé près de huit cents chants dont le premier recueil a été publié en 1882. Pratiquant une langue simple et s’accompagnant d’un kamani ou d’un violon, Djaivani aura été le poète patriote de chants d’amour, de morale philosophique ou de satire.
CHERAM (Talian Grigor Karapèti), né le 20 Mars 1857 à Alexandropol, mort le 3 Juillet 1938 à Erevan. Chanteur et goussan arménien, initiateur contemporain de l’art du goussan. Petit fils de l’Achough Kiamali. Il perdit son père à l’âge de 10 ans, devint apprenti chez un charpentier, chez un commerçant de détail, puis chez un menuisier. Il se fabriqua son premier saz, son premier târ et apprit à en jouer tout seul. A 12-13 ans, il compose ses propres chansons. Avec le trio du célèbre joueur de Kamantcha Tchoungour Hago ( Manoukian Hakob), il fit des tournées à Erevan, Tiflis, Bakou, Astrakan, Chouchi, Kars. Goussan Cheram eut également son propre groupe musical. En 1905, Cheram et son groupe visitent Etchmiadzine. C’est là que Komitas l’entend et transcrit un de ses chants (al ou alvan es hakel). En 1914, à Bakou, le poète H.Hovahannissian le surnomme Cheram, c’est-à-dire « ver à soie », pour avoir composé des chants raffinés comme la soie. Comme compositeur, Cheram a su s’adapter à l’essor contemporain du chant arménien de goussan. Ayant assimilé les riches acquis de l’époque, il renonça néanmoins aux formes et aux rythmes complexes de la poésie, en préférant les formulations simples et légères, plus conformes à l’esprit et à la métrique populaires. Chanteur original, il a utilisé les ressources du chant rustique et urbain. Les mélodies des chants de Cheram ont été transcrites et publiées sous le titre de Chants en 1959.
KOMITAS (Soghomon Soghomonian) compositeur, musicien, musicologue, chef de chœur, chanteur et enseignant, né le 26 Septembre 1869 à Kutahia. Orphelin très jeune, il a étudié à Etchmiadzine au collège Kevorkian. Sous la direction de Sahak Amadouni, il approfondit ses connaissances sur la musique religieuse et retranscrit ses premiers chants. Dès 1890, il met des poèmes en musique. En 1893, il est diplômé et devient professeur et chef de chœur à la cathédrale. En 1895, il est ordonné vartabed sous le nom de komitas. Il étudie ensuite l’harmonie à Tiflis avec Yekmalian, puis au conservatoire Schmidt de Berlin où il compose des romances sur des poètes allemands et travaille sur des chants populaires. De retour à Etchmiadzine, il reprend l’enseignement et approfondit son travail de composition. En 1906 et 1907 , il donne une série de concerts en Europe, notamment à Paris, à Venise et en Suisse. Quittant Etchmiadzine pour s’installer à Constantinople, il entreprend son œuvre majeure : parcourant un grand nombre de villages de l’Arménie historique, Komitas Vartabed recueille les chants, les poèmes et les musiques de tradition orale, notant les dialectes et les particularismes. « Nous avons personnellement transcrit ces mélodies telles que les paysans les chantent dans les villages. Dans l’harmonisation, nous avons eu le constant souci de maintenir le caractère et le style de cet art particulier qui se révèle dans les mélodies rustiques ». En 1915, le Révérend Père Komitas est arrêté à Constantinople, en même temps que les nombreux autres intellectuels arméniens, déporté et torturé. Il en perdra la raison. Il meurt le 22 Octobre 1935 à l’hôpital psychiatrique de Villejuif près de Paris.
ACHOT (Dadalian Achot Hayrapèti) goussan arménien. Né le 12 avril 1907 à Goris. S’est manifesté comme goussan dès 1928 ( Je suis Achough, l’Amour qui brûle, etc.). Les chants du Goussan Achot se caractérisent par leur diversité thématique. Tout en restant fidèle aux structures traditionnelles de la gamme et du rythme du chant populaire arménien, Goussan Achot a créé un langage musical original et nouveau. Dans ses mélodies, il a utilisé parallèlement le récitatif, le chant et le chant pour danser. Les chants du Goussan Achot jouissent d’une grande popularité. Goussan Achot est l’un des plus illustres représentants de l’art arménien contemporain du goussan.
ALTOUNIAN Tatoul ( 1901-1973), chef d’orchestre et enseignant soviétique. Né le 2 Octobre 1901 à Adana (Cilicie). Se réfugie à Erevan en 1915. Il étudie la direction d’orchestre et le hautbois et devient diplômé des conservatoires d’Erevan (1928) et de Leningrad (1934). En 1935-1936, il reconstitue et dirige les chœurs du conservatoire d’Erevan. Il a lui-même organisé et dirigé le Chœur d’Etat d’Arménie ( 1937-1939, 1947-1949), l’Ensemble populaire de chants et danses d’Arménie ( 1938-1970), la chorale de l’Association des chorales d’Arménie ( 1966-1969). Tatoul Altounian a été un maitre de l’art choral. Il a élaboré pour l’Ensemble populaire des chants et danses d’Arménie, un style original pour des œuvres de tradition populaire et c’est dans ce style qu’il a fait exécuter des œuvres de Komitas et de S.Melikian , ainsi que des chants populaires. Les tournées de l’Ensemble ont conduit à donner de nombreux concerts en URSS, en Hongrie, en Albanie, au Liban, en Egypte et en France. Dans les communautés arméniennes à l’étranger, il a apporté son concours au perfectionnement de formations locales et plusieurs ensembles arméniens portent aujourd’hui son nom. Il est mort le 29 Novembre 1973 à Erevan.
AVEDISSIAN Khatchadour ( 1926-1996). Né à Leninakan (aujourd’hui Gumri), Khatchadour Avédissian a très tôt étudié le piano, le violon et le kanone à l’école musicale Mélikian de Erevan puis au conservatoire Komitas dans la classe de Edouard Mirzoyan, où il crée le premier concerto pour kanone et orchestre symphonique en 1954, ainsi que ses premières mélodies. Dans toute sa carrière, le kanone aura tenu une place prépondérante : outre qu’il en fut un interprète de premier plan, il en développa la technique et lui fit gagner ses lettres de noblesse. Il est désormais considéré comme le fondateur de l’école arménienne de kanone. Khatchadour Avédissian fut le premier lauréat arménien dans les concours internationaux : médaille d’or en 1951 à Berlin et en 1957 à Moscou. Il a participé à de nombreux concerts dans le monde entier. Dès 1958, il prend en charge la direction musicale de l’ensemble d’Etat de danse d’Arménie, puis de 1974 à 1978, celui de l’ensemble de chants et de danses Tatoul Altounian. Pour ces deux formations, il a composé des danses et des chants qui ont longtemps fait partie des programmes des tournées internationales. Parmi ses œuvres les plus marquantes, on peut citer des compositions instrumentales, des oratorios, un requiem, des cantiques pour chœurs, des chants pour solistes et orchestre, des concertos pour kanone ou shevi, etc…, soit plus de soixante-dix chants, soixante musiques de danses et cinquante créations pour orchestre. Jusqu’à sa disparition en 1996, Khatachaour Avédissian a été considéré comme le compositeur contemporain le plus influent pour ce qui concerne le répertoire dédié aux instruments traditionnels arméniens. Plusieurs groupes d’instruments traditionnels en diaspora ont eu le privilège de bénéficier de l’enseignement de cet artisan du renouveau de l’héritage musical arménien.
ARAKELIAN Grigor. Né à Erevan en 1963. De 1975 à 1980, il étudie à l’école supérieure de musique Sayat Nova. En 1981, il intègre le conservatoire supérieur Komitas où il est l’élève de A.Thaouchian et obtient son prix de violoncelle en 1985. En 1987, il termine la classe de composition d’Edouard Mirzoyan. A partir de cette époque, il commence à travailler dans le domaine de la musique populaire et religieuse où il essaie de trouver de nouvelles voies dans l''usage des instruments arméniens. Il s’appuie sur l’héritage de la musique savante et en particulier sur l’œuvre de Komitas. En 1986, il crée l’ensemble Pyunik qu’il dirige jusqu’en 1996, avant de prendre la direction des « Maitres de musique d’Arménie » avec qui il s’est produit sur de nombreuses scènes européennes. Il joue un kamani dont il a initié la conception auprès du maitre luthier Martin Yeretsian. La qualité de l’écriture de Grigor Arakelian apparait dans l’usage subtil et équilibré des instruments de l’orchestre. Par petites touches, il dessine les contours des mélodies et retravaille les œuvres du répertoire dans une palette personnelle d’impressionnisme musical. Il a réalisé les arrangements de plusieurs pièces du répertoire de l’Ensemble Kéram.